Adresses

 

Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous comment les libanais, (moi inclus), indiquent leur adresse à une personne qui ne sait pas comment arriver à destination et qui vient leur rendre visite ou passer la soirée chez eux. Bon, depuis quelques années déjà, on envoie la location sur « WhatsApp ». Mais pour la plupart, indiquer l’adresse oralement reste la solution la plus facile et la plus garantie. Au fait, j’adore cette méthode et je ne voudrais la changer pour rien au monde, même si j’apparais comme résistante au progrès. Notre façon de verbaliser et de partager les informations fait partie de nos traditions. Je suis frustrée quand on me demande de leur envoyer ma location et qu’on ne veuille que je l’indique à la manière traditionnelle libanaise.

 Les mémés de l’ancienne génération sont les spécialistes dans ce domaine. Le ton de leur voix s’adapte parfaitement aux circonstances du moment. Leurs yeux vifs, toujours brillants dans leurs faces ridées, elles n’attendent que le moment où elles doivent avec maints gestes des mains et des bras, indiquer une adresse à quelqu’un.

 

Dans les villages…

Dans les villages, elles sont la plupart du temps perchées sur les balustrades en fer forgé de leurs balcons, guettant avec impatience les promeneurs perdus. Parfois, elles sont assises dans leur jardinet, sur la balancelle ou dans un vieux fauteuil en rotin, le regard tourné vers la rue en quête d’un peu d’animation. Je les aime ces mamies, elles respirent la joie de vivre, malgré leurs conditions de vie que j’imagine difficiles. Elles ne renoncent jamais.

 Je me souviens de cette fois où j’étais dans la grande place d’un village situé dans les montagnes du Mont-Liban. Je commençais à avoir faim et je me demandais s’il y avait une boulangerie proche. Je salivais à l’idée de croquer dans une « man’ouché » toute chaude. La man’ouché est notre galette traditionnelle composée d’une base de pain saupoudrée de thym avec de l’huile d’olive, le tout enfourné pour quelques minutes.

 Je regardais autour de moi sans savoir dans quel sens me diriger. En face de moi, une ancienne et modeste petite maison en pierre. Je m’en approchai pour voir si je pouvais me renseigner auprès des habitants. Le jardin attenant à la maison était agréable et une petite fontaine se trouvait au milieu. Des pots de géraniums, de thym et de gardénias étaient placés de manière désordonnée un peu partout. Un vieux mûrier faisait office de gardien et un petit figuier tout racorni lui tenait compagnie. J’aime le tableau qu’offre cette petite maison. J’aspirais le bonheur à pleins poumons. Je m’approchai du petit portail pour décoincer la languette et là, comme surgie de nulle part, une petite vieille se matérialisa devant moi.

 Même aujourd’hui, des années plus tard, je n’oublie pas téta Rose. Au Liban, on appelle « téta » (grand-mère), toutes les vieilles dames, qu’on les connaisse ou pas. Ce qui est aussi incompréhensible, c’est qu’elles nous appellent téta en retour ! téta Rose est de petite taille et toute ratatinée. Mais quelle énergie ! C’est moi qui se sent vieille à ses côtés. Son petit fichu fleuri sur la tête lui donne un air enjoué. Son sourire me va droit au cœur.

-       Tfaddalé ya téta, me dit-elle, ahla w sahla, ya ahla w sahla !

(Bienvenue, bienvenue, veuillez entrer, en libanais).

-       Bonjour téta, lui dis-je à mon tour en entrant chez elle.

Comme il va de soi chez nous, il n’est pas poli ni adéquat de rentrer de suite dans le vif du sujet. En premier lieu, il est important de s’acquérir de la santé de l’autre, ce que je fis.

-       Comment vas-tu téta, comment va ta santé ?

-       Hamdella, (Grâce à Dieu en libanais) ma fille je vais bien… tu es de la région ?

-       Non téta, je viens de Beyrouth.

-       C’est loin ma fille, tu dois être fatiguée… qu’est-ce que tu bois ? Tu aimes le sirop de mûres ?

L’hospitalité est sacrée au Liban et ne dépend pas du degré de richesse ou de pauvreté dans les familles. Surtout dans les villages. Là, tout le monde est bienvenu à n’importe quelle heure de la journée et de suite un café est offert. Il est suivi de petits gâteaux à la mélasse, un sirop de mûres ou de roses.

-       Ne te dérange pas téta, je vais aller acheter une man’ouché, mais je ne sais pas où est la boulangerie du village.

-       Ah c’est facile ya téta… je vais t’indiquer. Tu vas vers la droite et tu continues tout droit jusqu’à ce que tu voies une grande villa avec des volets verts. Juste après la villa, tu verras à ta droite aussi, un chemin étroit. Tu l’empruntes et tu continues, tu dépasses un olivier et un gros figuier. N’oublie pas de goûter aux figues elles sont délicieuses. Ça, au cas où les gamins du village ont laissé quelques-unes sur les branches basses, ajoute-t-elle avec un rire. Ces petits chenapans, ils rasent tous les arbres fruitiers de la vallée. Après le figuier, tu verras une petite épicerie sur ta gauche, c’est l’épicerie de Halim, Dieu ait son âme. Ce sont ses enfants qui ont pris la relève maintenant, oui, les temps changent ma fille. Tu continues ton chemin et là, juste à quelques mètres de l’épicerie, tu verras une carcasse de voiture toute rouillée, elle est là depuis des années. Je ne me souviens plus à qui elle était. Bon, juste après avoir dépassé la voiture, tu sentiras l’odeur du pain frais et c’est la boulangerie. Ils font de délicieuses man’ouchés. Leur pâte est très bonne et leur thym pur. Attention, pas comme le thym qu’ils utilisent à Beyrouth et Dieu seul sait avec quoi on le  mélange là-bas !

 Téta Rose s’arrête pour reprendre son souffle après sa longue tirade. Je profite pour placer un mot car je suspecte qu’elle ait envie de parler de beaucoup d’autres choses qui concernent des histoires du village ou de son propre passé.

-       Téta Rose, regarde ce que je vais faire. Je vais aller acheter deux man’ouchés et je reviens et on les mange ensemble qu’en dis-tu ?

Téta Rose est aux anges, elle accepte de suite et s’éclipse à l’intérieur, sans doute pour préparer le café. Le sourire aux lèvres, je suis ses indications pour aller à la boulangerie.    

 

A Beyrouth…

Demander mon chemin à Beyrouth est toujours un plaisir pour moi, car c’est une occasion pour moi de sourire. Il suffit que je ralentisse et que je me gare au bord de la route devant une épicerie ou un garage ou autre, pour que les personnes assises devant dressent la tête et se préparent à réagir. Dès que j’ouvre la fenêtre et que je me penche vers le siège à côté du mien, ils sont déjà debout et l’un d’eux se dirige vers moi d’une démarche rapide et d’un air décidé. Dans mon pays, ils ont la mauvaise manie de trop s’approcher de la vitre, quitte à faire rentrer leur tête à l’intérieur. Parfois, je peux même me rendre compte de l’état de leurs dents et compter leurs caries !

-       Marhaba (bonjour en libanais), excusez-moi monsieur, mais où se trouve la municipalité ?

-       C’est facile, continuez tout droit. Vous voyez cet arbre au fond de la rue à côté de l’immeuble gris ? Eh bien quand vous y serez, prenez la gauche et continuez tout droit jusqu’au supermarché qui se trouvera à votre droite. Dépassez le supermarché et continuez. Là, vous allez arriver à un carrefour. Vous prenez encore une fois la gauche et c’est au bout de la rue à côté d’un grand parking à votre droite. C’est facile, impossible de se perdre, j’en prends la responsabilité !

 Ah ! Non mais je rêve ! C’est ça le « facile » pour lui ? Entre les gauches et les droites je ne m’y retrouve plus. Et il en prend la responsabilité si je me perds ? Dites-moi, si je me perds, il va devoir me rendre des comptes ou quoi ?! Ça c’est au cas où je serais capable de refaire le trajet inverse pour le retrouver ! Je suis morte de rire vraiment ! Je vous l’avais dit, j’aime demander mon chemin à Beyrouth !