Nada, tu as fini ?
Je vous ai déjà dit que je m’étais inscrite à un cours d’aquagym dans un club privé à quelques kilomètres de Beyrouth. Trois ou quatre fois par semaine, j’y vais pour quelques heures de détente. Ça me fait un bien fou. J’y suis la plupart du temps à un moment où il n’y a pas grand monde. Ça m’arrange car j’ai besoin de calme. Nous sommes à chaque fois trois ou quatre femmes dans les vestiaires, moi inclue. L’ambiance est feutrée, presque « zen ». La vapeur des douches chaudes et du sauna imprègne les lieux. Les odeurs de crème et de shampoing apaisent les sens. C’est un moment que j’aime bien. Je me sens détendue, loin des tracas du quotidien. Pourtant, depuis quelques jours, à chaque fois que je suis sur le point de finir de m’habiller, un homme que je suppose âgé (d’après sa voix), se pointe derrière la porte fermée des vestiaires sans rentrer. (Les hommes n’ayant pas le droit d’entrer dans le vestiaire des femmes). Il brise le calme dans lequel on baigne toutes pour hurler à plein poumons.
- Nada, tu as fini ? Ladite Nada qui s’habille à l’intérieur de la cabine réponds en retour :
- J’ai presque fini.
Elle est obligée de hausser la voix car elle ne peut pas sortir presque nue de la cabine pour s’approcher de la porte. Elle essaye quand même de répondre d’une voix contrôlée pour ne pas nous déranger, mais son mari a l’air d’être atteint de surdité. Je suppose que c’est son mari. Il n’y a que ces derniers qui deviennent dépendants avec l’âge et demandent à leurs femmes où elles sont passées même si elles ne se sont éloignées que de quelques mètres. Il attend à peine une minute avant de répéter sa question.
- Nadaa tu as fini ?
- Je te dis que j’ai presque fini !
Une minute chrono plus tard…
- Nadaaa tu as fini ?
- Mais attends, j’arrive !
Re-une minute chrono plus tard… c’est fou !
- Nadaaaa tu as fini ou quoi ?
- Mais je te dis que j’arriiiive ! Calme-toi !!
A ce stade, c’est elle qui hurle…
J’ai envie de voir la tronche de cet homme pour lui dire deux mots ! J’ai envie de lui hurler à mon tour : Nonnnn elle n’a pas finiiiii !! T’as fini de crier oui ?!
Mais par égard pour la pauvre femme, je fais semblant de ne rien entendre.
Cette situation s’est répétée à chaque fois que j’étais dans les vestiaires cette semaine. Il m’énerve !! Il brise ce calme que je recherche quand je viens nager. Non mais, je rêve ! Après tout ce temps, ce type n’a pas encore compris que sa femme a besoin de plus de temps que lui pour s’habiller ? Il n’est pas capable de l’attendre calmement dans le salon prévu à cet effet, au lieu de hurler à nous déchirer les tympans ? ! En plus, je suis sûre qu’elle lui répète la même chose à chaque fois. Nada a l’air sensée. Déjà, quand il commence à crier son nom, je suis sûre que la pauvre s’affole et commence à ranger ses affaires à la va vite, en marmonnant des phrases incohérentes.
Une fois sorties de la cabine, quand nos regards se croisent, elle hausse les épaules d’un air qui veut dire : « Qu’est-ce que je peux faire ? Il est comme ça ! ». Dans ces moments-là, je suis contente d’être célibataire et libre comme l’air. L’attitude de cet homme valide ma décision de n’avoir jamais voulu me marier. Vivement la liberté ! Nada partie, j’ai envie de profiter du silence qui règne. Je prends le temps de savourer ma banane et ma barre protéinée. En y repensant, je pouffe de rire, à l’idée absurde de mon homme, (dans le cas où homme, il y aurait), qui crie à la porte des vestiaires.
- Tchi, tu as fini ?
- J’ai presque fini.
- Tchiii tu as fini ?
- Je te dis que j’arriiiiive !